
Épisode 2:
Accepter les différentes perspectives avec des équipes dynamiques dans le domaine des soins du VIH. Entretien avec le
Nous recevons à nouveau le Pr Matthias Cavassini pour discuter plus en détail des soins modernes dans le VIH. Découvrez le rôle que le langage joue encore aujourd’hui dans la stigmatisation du VIH. Partez à la rencontre des équipes de soins inclusives, qui comptent des professionnels de santé, mais aussi d’autres personnes engagées qui créent un vaste réseau de soutien pour les personnes vivant avec le VIH. Comprenez la valeur que ces dernières apportent à ces projets.
Transcription audio
David Jackson-Perry: Intro Part 2
David Jackson-Perry: Pour le moment tu ne fréquente pas des personnes vivant avec le VIH uniquement en tant que patient. Tu vas parler de ton ami qui est décédé dans les années nonante, tu as aussi des collègues qui vivent avec le VIH. Mon poste de coordinateur de projet VIH par exemple, tu m'as cherché pour ce poste. Tu aurais pu choisir quelqu'un dans le monde médical ou des soins. On a une deuxième personne vivant avec le VIH qui vient de rejoindre l'équipe à temps partiel et peut-être il y a un troisième dans pas trop longtemps. Hum. J'ai envie de dire pourquoi tu es venu me chercher en connaissance de cause alors que je ne suis pas du monde médical ? C'est quoi l'intérêt d'employer des personnes dans un service VIH, d'employer des personnes qui vivent avec le VIH ?
Matthias Cavassini: Mais alors écoute, je pense qu'il peut y avoir, bah, il y a plein de bonnes raisons. Je ne vois pas de mauvaises raisons en tout cas. Mais je dirais, les bonnes raisons ils doivent aussi être liées aux, comment dire…, aux capacités… , aux individus, on se connaissait depuis à peine une heure ou une soirée où je me suis dit cette personne serait très bien. OK, ça a été un peu un coup de foudre de me dire en fait, elle serait très bien là.
David Jackson-Perry: Avec ou sans le VIH.
Matthias Cavassini: Avec ou sans le VIH, c'est vrai, je dois être honnête, avec ou sans le VIH, tu aurais été tout à fait la personnel adaptée au job qu'il y avait dans cette fameuse Antenne de la consultations pour les maladies infectieuse que l'on voulait communautaire, ou on réfléchissait déjà depuis un moment de savoir on veut avoir pas un médecin, pas une infirmière, en veut quelqu'un d'autre, un sociologue ce n'était pas, même pas évoqué. On ne voulait pas une psychologue ou un psychologue, on ne voulait pas psychiatriser non plus la chose. Mais on se disait pourquoi pas ? Si quelqu'un est bien et qu'il est psychologue, why not ? Donc évidemment, on avait en tout cas décidé qu'on ne voulait pas ni médecins ni infirmiers pour pas mettre une couleur au responsable de l'Antenne.
David Jackson-Perry: Puisque c'est un lieu non médicalisé justement.
Matthias Cavassini: …qui est justement un lieu non médicalisé. Et on ne voulait pas non plus que ça fasse, ouais, des jalousies aussi au sein des équipes, entre les médecins et les infirmières de dire oui mais maintenant ils ne sont plus dans une certaine neutralité, on ne voulait pas plus staffer un côté ou l'autre.
David Jackson-Perry: Je ne sais pas si vous avez trouvé la neutralité je dois dire.
Matthias Cavassini: Alors la neutralité professionnelle, oui, on l'a trouvé. Après, on voulait évidemment quelqu'un d'engagé, ça c'est important. Et l'engagement, l'engagement était… l'engagement, la passion était importante. Et ce que j'ai découvert en fait en tant qu'agent, qui a été une surprise assez vite, c'est qu'en fait nos discussions ont amélioré, je pense améliorer, je peux le dire. La prise en charge des personnes que j'avais, des personnes vivant avec le VIH, parce que m'as apporté ton regard en tant que VIH sur ce qui peut être sensible dans la relation, que ce soit dans les mots ou dans l’attitude ou dans les discussions. Je parle d’un exemple typiquement dans les personnes ayant un passé d'usages de drogues intraveineuses, et bien j'ai clairement modifié mon langage et c'est vrai que c'est quelque chose qui dans le monde médical, le terme toxicomanes c'est quelque chose qu'on a tellement utilisé qui moi me choquait pas et j'ai pas réalisé qu'en fait ça pouvait être blessant et stigmatisant, et donc là j'ai modifié mon vocabulaire et puis surtout, je pense que ce qui est important aussi, c'est de voir les points positifs, c'est que si c'est une personne qualifiée qui vit qui vit avec le VIH, elle va amener une plus-value, un autre regard vraiment sur la problématique qu'ont les infirmières, les médecins, les psychiatres et surtout il peut y avoir aussi dans le contact que toi tu peux avoir avec des personnes vivant avec le VIH qui peut être un soutien qui est différent, complémentaire mais différent et un impact sur les autres personnes qui est aussi parfois plus fort parce que tu parles en connaissance de cause en tant qu'individu qui vit avec. Et moi j'avais vécu ceci à Kinshasa où je savais que, vu le peu de staff médical et infirmier là-bas, en fait toutes les annonces de nouveaux diagnostics dans un des grands centres de dépistage à Kinshasa était faite par d'autres personnes vivant avec le VIH et pas par un médecin ni par une infirmière. L'annonce du test réactif était faite par une personne vivant avec le VIH. Et c'était que des conseillers communautaires qui prenaient en charge au début pour informer le diagnostic. Et imagine le message, je te vois avec les yeux brillants comme d'habitude, parce qu’évidemment, le message quand moi je dis, si moi je dis volontiers à une personne nouvellement diagnostiquée, je dis écoutez, la vie va continuer. Et puis surtout c'est à mes yeux plus facile avec quelqu’un vivant avec le VIH qu'avec un diabète. Et je préférerais, je préférerais avoir comme nouveau diagnostic un diagnostic VIH qu’un diagnostic de diabète.
David Jackson-Perry: C'est vrai qu'on dit ça souvent, mais je ne sais pas combien de personnes vivant avec un diabète seraient d'accord d'échanger.
Matthias Cavassini: Absolument, absolument. Mais moi, comme médecin, je préférerais qu'on me diagnostique le VIH parce que je connais les deux.
David Jackson-Perry: Le côté rationnel, le côté scientifique.
Matthias Cavassini: Exactement. Par contre, sur le plan émotionnel, quand l'annonce est faite par une personne vivant avec le VIH qui va encourager la personne disant voilà, moi je vis avec depuis maintenant deux ans, trois ans, quatre ans, je prends mon traitement, la vie continue, oui, j'ai beaucoup pleuré au début, comme toi maintenant, mais promis dans quelques temps on va pouvoir rigoler, on va passer des bons moments et tu verras la vie continue. Et c'est possible de vivre avec ce diagnostic une vie normale.
David Jackson-Perry: Ce que tu dis vaut la peine, si tu me vois avec les yeux qui brillent, c'est que j'avais prévu de t'en parler justement de ce sujet même pour l'année prochaine, on reparlera de ça hors antenne.
Matthias Cavassini: D'accord.
David Jackson-Perry: Matthias, on a parlé du passé, on a parlé un petit peu du présent. Maintenant, parlons un petit peu de l'avenir. Donc tu m'as fait le cadeau aujourd'hui d'être là pour faire ce podcast qui dure un petit peu au-delà des 20 minutes qu'on avait prévues. Moi je vais te faire maintenant un cadeau. Je te donne un bâton magique, je te donne un budget, je te donne un cadre institutionnel très libre. Avec ce petit cadeau, qu'est-ce que dans le court-moyen terme tu aimerais développer, que ce soit au niveau clinique, recherche ou haute prestation, disons dans les deux ou trois prochaines années? Quel sont les domaines où tu penses que tu pourrais mieux utiliser ce cadeau, ce bâton magique que je te donne?
Matthias Cavassini: OK, le bâton magique. Au niveau clinique, je vais être… par ce que tu entendras souvent, mais qu'on entend partout autour du monde et dans les pays riches comme les pays moins riches. J'aimerais en fait que les soignants puissent avoir plus de temps avec les personnes vivant avec le VIH, donc que le temps de consultation puisse être pour…
David Jackson-Perry: …les médecins spécifiquement.
Matthias Cavassini: Spécifiquement les médecins. Donc, si je pouvais augmenter mes effectifs, oui, ça serait la première chose à court terme que je demanderais, parce que je pense que actuellement on tend la barre tellement sur un regard que financier qu'il va être délétère et on va s'en mordre les doigts lorsque on reverra de nouveau des virus résistants parce qu'on aura des pertes de suivi, parce qu'on espace le temps de consultation. Actuellement, les gens qui vont bien, on leur dit on se voit dans six mois, mais sincèrement, beaucoup d'entre eux seraient bien, bien plus contents s'ils pouvaient être vu tous les trois ou quatre mois. Pas parce que leur CD4 virémie ne va pas bien, mais parce qu'il y a beaucoup d'autres choses à discuter dans la vie que les CD4 virémie pour les soutenir. Donc ça, ça serait un des premiers bâton magique. L'autre chose, je pense de pouvoir, si je peux, avoir des équipes. J'ai déjà bénéficié de ta présence et de l’Antenne qui s'est élargie et enrichie avec les projets, qui à l'Antenne notamment avec l’Entraide et avec les cafés-rencontres, avec l'éducation thérapeutique, tout cela est très bien, mais y aurait d'autres corps de métiers que j'aimerais bien voir travailler avec nous, que ce soit les physiothérapeutes, que ce soit les sports, l'éducation physique, la musique, des activités qui en fait vont avoir un impact à la fois physique et mental chez des personnes qui sont tellement isolées en fait, qui seraient… qui bénéficieraient d'un tout petit rien pour que ça bascule dans le bonheur et pas simplement dans la vie ou la survie, mais dans le plaisir de vivre. Et sur ça, je pense que la médecine et d'ailleurs c'est pour ça que les centres, pour ceux qui ont les moyens, pourquoi ces centres marche super bien quand on fait des centres dans des spas avec massages avec super luxe etc. Mais c'est parce qu'en fait on est dans le toucher, on est dans le dans le bien-être et ça, ça manque dans nos cliniques.
David Jackson-Perry: Tu fais un peu état en fait des limites du possible médical en fait.
Matthias Cavassini: Oui, actuellement on n’est que dans la thérapie…
David Jackson-Perry: …dans les biomarqueurs…
Matthias Cavassini: …dans les biomarqueurs, dans la thérapie de ce qui ne va pas. Donc si le malade est déprimé, oui, on va aller chez le psychiatre, mais moi je serai plus dans le la prévention en amont et de dire ayant des équipes qui sont un peu plus polyvalentes et éviter qu'on arrive dans la thérapie en faisant un peu comme les Chinois de dire on a un système de soins qui maintient les gens en bonne santé plutôt que de courir après, une fois qu'ils ont fait leur infarctus ou une fois qu'ils ont fait leur fracture de l'os ou quoi que ce soit.
David Jackson-Perry: Un système de santé et non pas un système de soins.
Matthias Cavassini:Exactement.
David Jackson-Perry: Et puis là, on rejoint un peu ton premier point, je trouve que…, c'est à dire quand un médecin a 20 minutes avec quelqu'un, est-ce qu'il peut même dire si oui ou non à une personne qui est par exemple en dépression, je dirais probablement que non.
Matthias Cavassini: Et là, je me mets absolument sur le bûcher. Beaucoup des personnes qui viennent me voir lorsqu'on se voit peu souvent, ils ont du plaisir à me voir. Donc c'est vrai qu'ils ne vont pas me montrer leur état dépressif.
David Jackson-Perry: Ils veulent être un bon patient.
Matthias Cavassini: Ils veulent être un bon patient, ils vont se mettre sur leurs beaux habits. Ils mettent ça dans le 31, ils vont être souriants. Ils vont s'enquérir de ma santé à moi et en fait ils vont masquer leur tristesse et leur détresse. Et ça c'est,,, là je pense qu’on est en affaire. Ça c'est pour la clinique, recherche évidemment que beaucoup de projets de recherche que j'ai en tête, que je n'ai pas pu aboutir, sont liés aussi à des problèmes de moyens, mais aussi avoir peut-être une ouverture plus large sur des projets où on en a déjà parlé, hein, mais moi j'aime la spiritualité des patients. C'est un des projets de recherche que je n'ai jamais développé. Mais j'adorerais pouvoir faire enquête, m'enquérir en Suisse parce qu'on est population tellement diverse et on verrait en fait que pourquoi je m'intéresse à la spiritualité et aux croyances, c'est que mes pires patients, si j'ose utiliser cette expression que je n'aime pas, en fait, c'est aussi ceux que j'adore le plus, c'est ceux qui me donnent du fil à retordre. un challenge parce qu'en fait ils me résistent, ils résistent aux traitements, ils ne veulent pas. En fait, c'était souvent des femmes d'origine africaine avec des fortes croyances qui avaient arrêté le traitement. Ou alors un prof d'université caucasien homosexuel qui, lui, était à fond dans la médecine ésotérique, le pendule et cetera, et qui est malheureusement décédé des suites d’un lymphom. Mais c'étaient ces personnes-là, lorsqu'on n'arrive pas à aller contre les croyances, on doit faire avec, on doit trouver un moyen de s'entendre et de collaborer et de trouver. En fait, c'est presque dans les milieux et j'ai parfois eu des pasteurs d'église qui m'ont aidé dans la thérapie, c'est à dire que c'est eux qui ont convaincu la personne vivant avec le VIH à prendre le traitement, pas moi. Pendant dix ans, la personne avait moins de 100 CD4, elle a changé d'église et tout d'un coup elle a été voir les anciens et elle me dit je veux le traitement. Et donc là d'élargir de nouveau le spectre de collaboration et de recherche possible. Là, ce serait des choses qui me faciliteraient, sans parler évidemment de ce que l'on fait déjà maintenant sur le vieillissement. Oui, c'est des projets qui sont là, mais dans les choses nouvelles. Baguette magique si je peux avoir encore plus de temps, et bien je mettrais sur l'activité physique, je mettrais sur la spiritualité, je mettrais aussi sur la fatigue, sur des symptômes que les personnes ont ou c'est la personne vivant avec le VIH qui dit faites-moi de la recherche sur tel sujet. Ça, on le fait pas assez de dire OK, ouvrons, quelles sont leurs demandes. Et c'est souvent l'inverse ce sont les médecins, les chercheurs qui décident de qu'est-ce qu'il faut faire. Et ça fait 30, 40 ans qu'on bute sur le vaccin. Alors si tu me mets la baguette magique, oui, j'aimerais bien avoir un vaccin. Sincèrement, un vaccin préventif, je n'y crois toujours pas. Ça fait depuis que j’étudie la médecine qu'on me dit que c'est dans dix ans que ça sera là. J'espère me tromper. Et la bonne nouvelle, c'est que les médecins sont des très mauvais devins. Donc peut être que je me trompe et dans dix ans il y aura un vaccin.
David Jackson-Perry: Je pense que ça a des collègues à toi qui vont aussi espérer que tu te trompes, oui, effectivement. Donc là pour la clinique, pour la recherche, en fait, ce que j'entends, tout c'est cet élargissement du champ d'action, de peut-être pour s'éloigner de cette idée purement médicale, cette idée biomarqueurs uniquement où on met toute notre foi, si je peux utiliser ce terme, dans le biomarqueurs, peut-être on perdant de vue la personne.
Matthias Cavassini: Oui, et puis on est beaucoup sur la qualité de vie avec le vieillissement, on veut la qualité de vie des gens. Lorsqu'en année 2000, les traitements étaient trop toxiques, mal tolérés, c'était pour leur qualité de vie qu'on a décidé de faire les interruptions de traitements. On se disait que ça leur fera bon, ils seront bien. En fait, on a aggravé leur qualité de vie. Maintenant, on sait qu'ils doivent vivre avec ce traitement. Mais la qualité de vie, eh bien, c'est beaucoup d'autres choses que simplement la médication. La médication en soi, elle est bien tolérée, mais il y a beaucoup d'autres éléments qui vont améliorer leur qualité de vie. Et une chose, si j'ai la baguette magique sur lequel je n’ai pas ouvert le champ parce qu'il m'a parlé de cliniques de recherche, enfin de ces aspects-là, c'est au niveau sociétal. Et là je trouve que à moyen terme, ce n’est pas illusoire de se dire que nos lois doivent changer par rapport aux personnes vivant avec le VIH pour les assurances maladie, pour les droits à la migration, pour les pays qui continuent à dire vous avez le VIH, vous n'avez pas le droit de vivre, de d'émigrer dans notre pays l'Australie et à mon avis encore sur les listes noires pour l’immigration à long terme. Les États-Unis l'ont fait seulement récemment. Le Canada aussi n'est pas si simple. Sans parler des procès qui sont faits pour possibles infection d'autrui, lorsqu'on vit avec le VIH où les gens ont été en prison. J'ai vécu deux personnes incarcérées pendant deux ans.
David Jackson-Perry: Y compris quand il n’y a pas eu de transmission.
Matthias Cavassini: Exactement, une possible transmission. Mais en fait, même si ça n'a pas eu lieu, c'est comme si on les avait menacés avec un revolver chargé et qu'on n'a pas appuie sur la gâchette. Donc c'était ce type de sentences qui ont été mises en place en Suisse. Alors là, on a fait un petit peu de progrès, mais on a encore loin de cela. Mais ça serait mon rêve que, avant la retraite, on puisse voir une société qui soit un peu plus friendly ou plus acceptante, certainement pas un bon terme francophone pour les personnes vivant avec le VIH et qu'elles se sentent plus libre, plus légère.
David Jackson-Perry: Que le VIH soit une maladie chronique comme une autre.
Matthias Cavassini: Oui, exactement. Et pour l'instant, il n'est pas du tout comme les autres, elle est lourde psychologiquement et c'est cette pesanteur contre laquelle on aimerait lutter.
David Jackson-Perry: Alors heureusement que bon nombre de nos soignants ne sont pas non plus des soignants comme des autres. Matthias Cavassini, je te remercie beaucoup pour ton engagement déjà, et aussi pour ta présence aujourd'hui, et je dis à tout bientôt.
Matthias Cavassini: Merci, David, pour ton invitation. Merci.
David Jackson-Perry: Merci d'avoir écouté Invisibles, le podcast qui met la lumière sur le VIH dans tous ses états. Je suis David Jackson-Perry et je vous dis à très bientôt pour nouvel épisode. Salut!
