
Épisode 3:
Les infirmières spécialisées, une prise en charge holistique pour les personnes vivant avec le VIH. Entretien avec
Dans cet épisode, nous accueillons Isabel Cobos Manuel, infirmière spécialisée à la consultation des maladies infectieuses du CHUV. Elle nous fait découvrir le rôle des infirmières spécialisées dans la prise en charge des personnes vivants avec le VIH. En se concentrant sur les besoins de ces personnes, ces infirmières offrent un accompagnement spécialisé et individuel aux personnes vivant avec le VIH sans procédures techniques dans les aspects complexes d'un diagnostic de VIH, les problématiques socio-médicales, psychologiques mais aussi de prévention. Rejoignez-nous pour en apprendre plus sur l’importance d’une approche holistique dans les soins.
Transcription audio
David Jackson-Perry: Bonjour, je m'appelle David Jackson-Perry, je suis coordonnateur des projets VIH au CHUV à Lausanne et vous écoutez le podcast Invisible qui met la lumière sur VIH dans tous ses états, autant social que médical. Bonne écoute.
Isabel Cobos, infirmière spécialisée à la Consultation ambulatoire des maladies infectieuses au CHUV et donc chère collègue, salut!
Isabel Cobos: Salut, David.
David Jackson-Perry: Et merci beaucoup d'être avec moi aujourd'hui pour ce podcast Invisible. Je t'ai présenté comme infirmière spécialisée mais je ne suis vraiment pas sûr que ce soit très parlant pour des gens qui écoutent puisqu'à ma connaissance c'est un rôle qui est unique, en fait dans notre service en Suisse en tout cas. Je me trompe ou… ?
Isabel Cobos: Alors c'est vrai qu'à ma connaissance aussi c'est un rôle qui est unique. Donc c'est vrai qu'on est trois infirmières spécialisées, Corinne, Marie et moi-même. [David Jackson-Perry: Salut.] Salut les collègues. Et puis c'est vrai que notre spécificité en tant qu'infirmière à la Consultation, c'est qu'on fait aucun geste technique, donc on pas de prise de sang, pas d'injection d'antibiotiques, pas de distribution de médicaments. On a vraiment un rôle de consultante et ça effectivement, à ma connaissance, ça n'existe nulle part ailleurs en Suisse.
David Jackson-Perry: OK. Alors on va aller dans plus de détails tout de suite sur quel est ce rôle de consultante dont tu parles? Mais déjà, c'est quoi la logique, en fait, derrière ce rôle? Comment ça se fait que nous avons ces postes, que vous avez la chance d'avoir ces postes ici au CHUV?
Isabel Cobos: Oui, alors c'est une bonne question. C'est vrai que c'est un poste historique, c'est un poste qui existe depuis les débuts de l'épidémie. Et puis c'est un poste qui a évolué selon les besoins des personnes vivant avec le VIH qui ont également évolué. C'est un poste qui aurait pu disparaître à partir du moment où les personnes ne mouraient plus du VIH. Mais il y a vraiment eu une volonté de la part des médecins notamment aussi grâce au professeur Cavassini qui a toujours soutenu ce poste et qui a tout fait pour que ce poste perdure.
David Jackson-Perry: Donc Matthias Cavassini que j'ai reçu dans le premier épisode de ce podcast, effectivement, qui a gardé ce rôle, qui a gardé ce poste puisque ce n'est pas parce que les gens ne mouraient pas, qu'ils n'aient pas besoin d'accompagnement ou de suivi ou de cheminement au sujet du VIH. Donc c'est quoi le quotidien d'une infirmière spécialisée dans notre service?
Isabel Cobos: Alors le quotidien d'une infirmière spécialisée, c'est de pouvoir aborder un peu les questions relatives à l'impact que le VIH peut avoir dans la vie des personnes. Et puis cet impact peut se jouer à différents niveaux. Comme il peut y avoir un impact dans la vie intime, il peut avoir un impact dans la gestion de l'annonce, la difficulté de compréhension du traitement, du diagnostic, il peut y avoir différentes choses. Et puis on est aussi amené à avoir un rôle dans la santé sexuelle, dans la prévention. Donc on suit aussi des personnes sous la prophylaxie pré-exposition, donc la PrEP, et également des personnes sous prophylaxie post-exposition, la PEP.
David Jackson-Perry: Tu peux nous dire deux mots sur ces deux prestations ?
Isabel Cobos: Oui. Alors la prophylaxie pré-exposition donc, c'est un traitement qui est pris soit en continu soit en discontinu pour prévenir l'acquisition du VIH.
David Jackson-Perry: C ’est donc pour des personnes qui ne vivent pas avec le VIH et pour éviter une transmission.
Isabel Cobos: Exactement.
David Jackson-Perry: Et la PEP ?
Isabel Cobos: Et puis la PEP, c'est l'inverse, c’est la prophylaxie post-exposition. Donc ça veut dire quand une personne a potentiellement été exposée au virus du VIH, elle va pouvoir disposer d'un traitement, une trithérapie, pour éviter l'acquisition du VIH. Et puis c'est un traitement qui sera à prendre sur un mois, avec un suivi médical.
David Jackson-Perry: D'accord. Et donc voilà pour des personnes qui ne vivent pas avec le VIH, donc si on revenait à votre suivi des personnes qui vivent avec le VIH, donc c’est… vous vous consultez donc, vous avez quand même une relation assez privilégiée avec les personnes que vous suivez. Si je comprends bien, c'est à dire que d'une part vous avez un plus long temps de consultations que les médecins par exemple, et en plus vous pouvez voir les gens à long terme si nécessaire. C’est juste ?
Isabel Cobos: Oui, c'est juste. Alors, je pense qu’un des privilèges principaux, c'est qu'on travaille par référence, donc ça veut dire une fois qu'on a rencontré une personne, on va la suivre selon ses besoins sur parfois même des années. Donc pour ma part, ça fait douze ans que je travaille dans ce service. Et puis c'est vrai qu'on va faire l'état des lieux, des besoins des personnes qui vivent avec le VIH. Et puis suite à ça, on va poser des priorités et puis travailler des thématiques avec ces personnes, aborder différentes thématiques.
David Jackson-Perry: Poser des priorités ensemble avec la personne.
Isabel Cobos: Alors c'est clairement ensemble, c'est vraiment, enfin, c'est surtout la personne qui va, elle, poser les priorités et nous qui allons l'accompagner à travers ces thématiques. Et puis c'est vrai qu'on a un temps de consultation qui s'adapte aux besoins de la personne, donc on peut voir les personnes jusqu'à une heure de temps. Et puis quand on travaille autour d'une thématique, parfois on est amené à voir les personnes chaque semaine pour aborder cette thématique qui pose problème. Parfois c'est quelque chose qui est espacé dans le temps, donc c'est vraiment très adaptable aux besoins.
David Jackson-Perry: Mais au cas par cas, comme ça. Alors tu as nommé quelques enjeux très rapidement tout à l'heure. Est-ce qu'on peut aller un peu plus en détails dans, je n'ai pas choisi, un ou deux ou trois de ces enjeux pour en parler en un peu plus de ces détails.
Isabel Cobos: Donc un des enjeux que j'aimerais partager pour faire prendre conscience de c'est quoi la spécificité de vivre avec le VIH, c'est le fait que pour moi, à mes yeux, c'est une maladie qui est comparable à aucune autre maladie chronique.
David Jackson-Perry: En quoi ?
Isabel Cobos: Mais quand on a un diagnostic, quel qu'il soit, de diabète, de cancer, d'hypertension, la première réaction, ça va être de pouvoir en parler, en parler aux gens qui te sont proches, en parler à ton entourage, en parler pour que tu puisses obtenir du soutien de ces personnes. Et puis ce qui se passe avec le VIH, souvent, je ne dis pas toujours, mais souvent c'est complètement l'inverse. Ça veut dire que les personnes, elles vont, quand elles reçoivent ce diagnostic, se poser plein de questions qu'on ne se pose pas avec un autre diagnostic. Est-ce que je le dis? Est-ce que je ne le dis pas? Ça va être quoi la réaction de la personne? Est-ce que je vais être rejeté? Est-ce que je vais être jugé? Et donc ça, pour moi, c'est une des complexités majeures de vivre avec ce diagnostic. Encore aujourd'hui.
David Jackson-Perry: J'allais dire toujours, parce-que je sais, moi, dans les années nonante, j'avais un Kaposi et je trouvais ça très facile à dire j'avais un cancer à des gens, je trouvais beaucoup plus difficile de dire voilà, je suis positive au VIH, j’ai le sida. Donc effectivement j'ai vécu ça, mais encore aujourd'hui ça me surprend un peu.
Isabel Cobos: Mais oui, et c'est ça qui est le plus frustrant, je trouve, là-dedans, c'est que d'un point de vue médical, on a fait des avancées énormes et puis on a plein de bonnes nouvelles médicales à transmettre aux personnes. Elles vont pouvoir avoir une espérance, une qualité de vie similaire à la population générale. On va avoir des traitements qui vont être bien supportés, allergie parfois, un comprimé par jour suffit, maintenant on a même des injections possibles pour certaines personnes tous les deux mois, donc des énormes avancées médicales. Et puis d'un point de vue psychologique, d'un point de vue sociétal, et bien je n'ai pas l'impression qu'on a beaucoup avancé de l'époque dont tu décris.
David Jackson-Perry: Oui, donc on est de nouveau dans ces deux terrains, d'un côté le VIH médical et d'un autre côté le VIH social. Et ce besoin en fait de parler à ces deux VIH, qu'on ne peut pas juste traiter le VIH médical, on doit aussi bien comprendre, prendre la mesure de ce VIH social, c'est ça. OK, donc tu as parlé donc là de cette difficulté de partage, de diagnostic. Est-ce qu'il y a un autre enjeu majeur dont tu aimerais parler?
Isabel Cobos: Oui, au fait, tout est pour moi relié à l'anticipation que ce diagnostic va amener dans la vie des personnes, à tous niveaux, l'anticipation de comment ça va être dans leur vie intime, l'anticipation de est-ce que je dis à ma famille, est-ce que je dis à mes enfants, est-ce que je dis à mes parents, est-ce que je dis, à mes proches, l'anticipation de qu'est-ce qui se passe si on l’apprend au travail? Donc les personnes vont être envahies par tous ces questionnements qui sont très puissants. Et puis ces questionnements peuvent amener certaines personnes à renoncer à certains domaines de leur vie. Alors je ne dis pas que c'est le cas pour toutes les personnes. Moi je suis consciente aussi que j'ai un biais parce que dans la consultation où je vois les patients, je vois principalement les personnes pour qui il y a des difficultés dans le vécu. Mais je suis consciente que ce n'est pas le cas pour toutes les personnes et que certaines personnes cheminent avec ce diagnostic de manière tout à fait sereine.
David Jackson-Perry: C'est très important de bien dire à ce que tu dis en fait, parce c'est vrai que je connais, je suis une personne vivant avec le VIH pour qui le fait de partager son diagnostic a eu… a été très positif dans les relations, dans l'enrichissement des relations par exemple. Et je ne suis pas seule en fait à avoir cette expérience. Il y a des gens pour qui le partage du diagnostic, quand c'est bien fait, j'ai envie de dire, peut être vraiment très puissant et très porteur, très forte de ressources, j'ai envie de dire.
Isabel Cobos: Oui, puis j'ai, moi, un terme que je n'aime pas quand on parle d'une maladie chronique, c'est l'acceptation. Est-ce qu'on accepte ou pas un diagnostic? Pour moi, ça, ça se situe pas à ce niveau-là, c'est vraiment un cheminement, donc c'est quelque chose qui peut se passer très vite pour certaines personnes, moins vite, ça peut se passer dans un domaine plus facilement que dans un autre. Et puis c'est, je pense, de prendre conscience que c'est possible ce cheminement. Et puis on l'a vu à travers les podcasts que tu as enregistrés dans Positive Life, les témoignages de personnes pour qui ça se passe bien. C'est important de pouvoir entendre ces voix aussi, savoir que c'est possible, que ça se passe bien.
David Jackson-Perry: Je pense que tu viens de dire quelque chose de très important, qu'on n'est pas tous égaux devant des choses comme le partage du diagnostic. Les enjeux ne sont pas les mêmes pour chacun, chacune, c'est vrai. Donc voilà, est-ce qu'il y a d'autres enjeux avec lesquels tu es confronté régulièrement que t'aimerai parler ou est-ce qu'on passe à la suite?
Isabel Cobos: Je pense que, voilà, c'est ça qui est le plus frustrant dans mon travail, c'est d'entendre justement encore aujourd'hui des personnes qui s'interdisent une vie intime, qui disent voilà la sexualité, pour moi, à mon âge, ce n’est plus important, donc je n'ai plus envie de gérer ces enjeux-là. Ou des personnes qui disent finalement je suis bien tout seul, je n'ai pas forcément besoin d'être en couple. Mais quand on questionne, on se rend compte que c'est le VIH qui met un frein.
David Jackson-Perry: Et les gens se font une raison, on a l'impression.
Isabel Cobos: Ils se font une raison, ouais, c'est comme ça. Et puis c'est plus facile de renoncer à certaines choses que parfois de les affronter, parfois parce qu'ils ont vécu déjà des situations de rejet.
[David Jackson-Perry: Oui, tout à fait.] Et puis parce que justement, cette anticipation peut être hyperpuissante et qu'on ne peut pas imaginer que certaines personnes me disent mais qui va m'accepter avec ce diagnostic? Moi, si j'étais cette personne-là, mais je n'accepterais pas de vivre une vie de couple avec quelqu'un avec VIH parce que j'aurai toujours peur.
David Jackson-Perry: C'est ça que tu peux entendre? Ben oui. Donc là, tu fais état vraiment de question très complexe. Moi, je me demande comment est-ce que tu fais concrètement pour cheminer avec ces personnes vers, je ne sais pas comment le dire, plus de confort dans leur vie. Je ne sais pas si tu veux choisir un ou deux thèmes que tu viens de nommer et puis nous donner un exemple de comment tu chemine avec cette personne.
Isabel Cobos: Oui, alors effectivement la base c'est de pouvoir questionner la personne où elle en est dans sa vie, c'est quoi ses besoins. Et puis une fois qu'on a pu déterminer quels sont ses besoins, elle va pouvoir aussi déterminer quelles sont les priorités.
David Jackson-Perry: Donc déjà, tu ne pars pas de ton avis.
Isabel Cobos: Oui, et ça je pense que c'est la base, parce que c'est vrai qu'en tant que soignant, on peut facilement être amené à peut-être avoir une inquiétude dans l'adhésion, comment est-ce que ces personnes prend son traitement. Peut-être que pour elle ce n’est pas ça l'important à ce moment-là, l'important est l'essai dans, ben, j'aimerais pouvoir dire à mon fils ou à ma fille, mais je n'ose pas, je ne sais pas comment m'y prendre et j'ai peur de sa réaction. Et puis tu parlais de comment est-ce qu'on fait, donc on a développé des outils dans notre consultation infirmière pour pouvoir aborder toutes ces thématiques. Donc par exemple pour la gestion de l'annonce, ce qu'on va faire souvent, c'est de pouvoir faire écrire à la personne un petit peu…
David Jackson-Perry: L’annonce donc, comment parler de son statut VIH?
Isabel Cobos: Exactement. Dire ou pas son VIH. Et puis on va réfléchir, on va faire réfléchir la personne à quels sont les risques et les bénéfices de l'annonce, de la potentielle annonce pour pouvoir la mettre en situation. Et puis on voit que souvent les risques, c'est-ce qui se remplit en premier. Il y a toute une colonne de risques. C'est-ce qui la personne va voir en premier.
David Jackson-Perry: Tout ce qui se passerait mal si je le disait..
Isabel Cobos: Ce qui se passerait mal si je le dis. Et puis après, petit à petit, au fil de la conversation, on voit qu'il y a aussi des bénéfices et que cette colonne bénéfices va aussi se remplir et que tout d'un coup ça peut valoir la peine peut-être d'envisager de dire ou pas le diagnostic. Ce qui est aussi très important à mes yeux, c'est évidemment de rien induire en tant que professionnel, mais d'être là juste pour faire prendre conscience des enjeux et que la personne puisse prendre une décision éclairée sur est-ce qu'elle va dire ou pas, en ayant pris du temps pour réfléchir aux potentielles conséquences. Et on est donc prête à les accepter si ça se passait mal par exemple.
David Jackson-Perry: Oui, donc tu facilites en quelque sorte une réflexion en fait plus qu'autre chose. [Isabel Cobos: Oui.] C'est quelque chose comme ça.
Isabel Cobos: C'est ça.
David Jackson-Perry: Est ce qu'on peut juste s'attarder un petit peu sur cette question de risques bénéfices qui est très intéressant? Et puis évidemment, on va changer d'une personne à d'autres, d'un contexte de vie à l'autre, on est d'accord. Quels sont quelques bénéfices dont parler?
Isabel Cobos: Alors la libération du poids du secret.
David Jackson-Perry: Le poids du secret.
Isabel Cobos: Enfin, justement on parlait de cheminement et quand on a le privilège de pouvoir être témoin de ce bénéfice, de ce cheminement, c'est juste incroyable. Quand il y a une personne qui a pu annoncer à sa fille son diagnostic alors que ça faisait des années, à sa fille adulte, ça faisait des années qu'elle se cachait pour prendre ses traitements, que c'était extrêmement difficile pour elle lorsqu'elle était hospitalisée et elle avait très peur que tout d'un coup il puisse avoir une divulgation du diagnostic. Et tout d'un coup, quand elle a pu le dire et que la fille a accepté ce diagnostic, a soutenu sa maman et non seulement l'a soutenue, mais a été vraiment très, très, très attristée de savoir que sa maman avait traversé toutes ces années dans le silence, dans la honte, et que tout d'un coup la pièce a pu tomber, le poids s'est libéré. Et ça, c'est juste incroyable. Quand ça se passe comme ça, c'est un soulagement énorme.
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