
Épisode 4:
Partager le vécu : le pouvoir du soutien des pairs dans le domaine du VIH. Entretien avec
Dans cet épisode, nous accueillons à nouveau Isabel Cobos Manuel, infirmière spécialisée à la consultation des maladies infectieuses du CHUV. Ensemble, nous explorons l’impact de l’entraide et du partage d’expériences dans la prise en charge des maladies chroniques, en particulier du VIH. Découvrez le rôle des programmes d’éducation et de soutien, comme le projet Entr'Aide+, dans l’amélioration de la qualité de vie des personnes vivant avec le VIH. Isabel met en lumière le rôle des infirmières et des professionnel(le)s de santé dans l’animation de discussions et d’ateliers portant sur les difficultés pouvant apparaitre chez les personnes vivant avec le VIH... Découvrez le projet Entr'Aide+, un lieu sûr qui réunit des mentors qui partagent leur expérience de vie avec le VIH avec des personnes en recherche de soutien. Alors que nous nous frayons un chemin dans les progrès réalisés dans le traitement du VIH, cet épisode nous rappelle le besoin de pouvoir proposer une approche holistique dans la prise en charge des personnes vivant avec le VIH.
Transcription audio
David Jackson-Perry: Intro Part 2
David Jackson-Perry: Oui, tout à fait. Donc là, on a parlé de ton travail infirmier, un petit peu de tes outils, des enjeux que tu rencontres dans ton quotidien. Mais je sais qui tu es, tu réfléchis beaucoup aussi sur les limites de ton travail. Donc toi et moi ensemble, avec une dizaine de personnes vivant avec le VIH qui quand ils sont suivis à la Consultation, on a mis en place un projet qui s'appelle Entraide Plus. Est-ce que tu peux en dire quelques mots?
Isabel Cobos: Alors oui, le projet Entraide, c'est un des projets qu'on a mis en place dans le dans l'Antenne de notre Consultation. Et puis quand tu parlais des limites, effectivement, je pense qu'en tant que professionnels, on est conscients qu'une des limites c'est de ne pas pouvoir partager le vécu. Qu'est-ce que ça fait de vivre avec ce diagnostic?
David Jackson-Perry: Donc tu as des connaissances, que ce soit médical, que ce soit théorique, mais que l'expérience si’il n'est pas, il n'est pas là.
Isabel Cobos: Exactement. Et puis je pense que c'est ça qui a été reconnu dans toute maladie chronique, l'importance de pouvoir permettre cet échange, ce partage entre les personnes concernées. Et je pense que c'est une évidence pour toute maladie chronique. Mais j'ai envie de dire, c'est un cran supplémentaire avec le VIH parce que souvent les personnes, elles n'ont jamais eu l'occasion de pouvoir parler avec une autre personne concernée par ce diagnostic. Et donc on a mis en place plusieurs programmes pour justement permettre cet échange. Donc d'abord, on a les ateliers de groupe, les ateliers d'éducation thérapeutique où les personnes vont être amenées à partager. Enfin, tout d'abord, il va y avoir une transmission d'informations au niveau d'une thématique. Et puis l'idée par la suite, c'est vraiment de permettre le partage entre les participants autour d'une thématique. Par exemple, la semaine prochaine, il va y avoir un atelier sur la vie intime et sexuelle. Et donc l'idée c'est que les personnes puissent partager comment ça se passe pour elles, c'est quoi leur questionnement, c’est quoi leurs difficultés, c'est quoi leurs astuces? Et puis ça c'est très fort, c'est très puissant. Une autre…
David Jackson-Perry: Et ça c'est aussi par ces ateliers, ça aussi tenu par ta collègue Corinne Courvoisier.
Isabel Cobos: Exactement. Donc Corinne, qui est formée en éducation thérapeutique, a vraiment mis en place ces ateliers au sein de notre consultation et c'est une énorme richesse. On a un programme annuel tous les mois on présente des thématiques différentes. Donc ils ont été initiés et puis ils sont menés par Corinne. Et puis selon les thématiques, il va y avoir différents intervenants comme des médecins, des pharmaciens, mais il y aura toujours une infirmière qui sera présente lors de ces ateliers.
David Jackson-Perry: Donc on voit vraiment que ce travail infirmier est très loin de ce qu'on pourrait imaginer comme le travail infirmier, c'est très large, c'est très riche, c'est assez avant-gardiste en fait à mon sens aussi dans ce changement de paradigme où on donne beaucoup de valeur à l'expérience des personnes qui sont suivies au CHUV. Tout ne part pas de mon expérience, mes connaissances de professionnels.
Isabel Cobos: Non, je pense que c'est vraiment de ça dont il faut se dégager. Je pense que c'est ça le risque en tant que professionnels, c'est d'avoir peut-être la prétention de pouvoir apporter des réponses à tout, alors que clairement, on voit qu’est-ce qui apporte le plus de sens pour les gens, c'est de pouvoir partager ce vécu. Puis notre rôle il est justement là, c'est de pouvoir permettre ce partage de vécu, de pouvoir mettre en place des projets qui permettent ces rencontres qui ne pourraient pas se faire autrement.
David Jackson-Perry: Oui, tout à fait. Et c'est vrai que vivre avec une maladie chronique, n'importe laquelle mais peut être d'autant plus une maladie chronique comme le VIH avec le temps on a une acquisition de compétences, de connaissances qui sont très fortes en fait, on gère ça dans notre quotidien, ce n’est pas rien, on sait comment gérer ça. Et donc ça me semble tout à fait logique qu'on pose la question aux personnes vivant avec. C'est quoi ton expérience et comment est-ce que cette expérience peut aider d'autres personnes?
Isabel Cobos: C'est ça, c'est valoriser le savoir expérientiel et c'est ça qu'on a recherché à faire avec le projet Entraide.
David Jackson-Perry: Merci pour nous ramener au sujet. Oui alors je t'écoute pour l'Entraide.
Isabel Cobos: Alors le projet Entraide, il a été mis en place par toi et par moi en 2021. Donc c'est un projet qu'on avait déjà en tête depuis des années où on voulait permettre cette rencontre entre personnes concernées mais d'une manière sécurisée. Donc on a recruté des personnes qui ont un certain cheminement avec ce diagnostic et qui souhaitent surtout pouvoir partager leur vécu avec d'autres personnes. Donc on les a appelés des mentors. Et puis l'idée c'est qu'ils puissent rencontrer des personnes qui souhaitent justement rencontrer tel ou tel profil de mentor pour partager leur vécu en binôme dans un contexte sécurisé. Parce que la confidentialité, c'est un gros enjeu quand on vit avec le VIH, donc la certitude d'avoir la confidentialité garantie dans ces rencontres, donc on fait signer un contrat de confidentialité et puis on voit que ce qui se passe dans ces rencontres est hyperfort et puis hyperpuissant et que ça apporte un bénéfice des deux côtés. Donc on l'a appelé Entraide parce qu'on avait fait le pari que c'était quelque chose qui pourrait être bénéfique et pour les mentors et pour les personnes qui demandent un accompagnement. Puis c'est le cas, en fait, je pense qu'on a vraiment ce retour des mentors qui nous disent mais moi ça me fait tout autant de bien que qu'aux personnes que je rencontre, c'est extrêmement bénéfique pour moi également.
David Jackson-Perry: Tout à fait. Il y a deux choses qui me frappent dans ce projet. La première chose, c'est notre taux d'absence ou de rendez-vous manqué qui est… ?
Isabel Cobos: …oui, qui est presque inexistant, effectivement.
David Jackson-Perry: Voilà, chose qu'on ne voit pas souvent dans un cadre médical ou paramédical je pense, on est d'accord. [Isabel Cobos: Oui.] Et puis l'autre chose qui me vient, c'est que comme tu dis, non, en fait nous on ne fait que garantir le cadre en fait en quelque sorte. Donc les gens se rencontrent pour la première fois à l'Antenne, nous, on est là dans les premiers quelques minutes, mais après on part. Et puis moi j'ai fait l'expérience c'est toi qui encadre la plupart des binômes, mais moi j'ai aussi fait l'expérience de retourner dans la pièce après avoir eu peur en partant, on est mise en risque, comment est-ce qu'ils vont faire tout seul sans moi comme ça? Un peu prétentieux, en fait je reviens et puis je les interromps simplement. Simplement, voilà, ils sont juste bien ensemble.
Isabel Cobos: Ah oui, non mais c'est vrai que… bon, moi cette peur m'a quitté il y a bien longtemps. J'ai bien conscience que mon rôle c'est d'être le plus discret et surtout le plus court possible dans cette intervention. Et c'est vrai que voilà, il n'y a pas une fois où après une heure, j'ai pas l'impression que je suis en train d'arrêter quelque chose d'hyperimportant, une conversation très intense et puis que je suis un peu toujours la rabat-joie qui vient interrompre un moment…
David Jackson-Perry: Mais c'est ça.
Isabel Cobos: …un moment de partage. Mais les personnes ont après l'occasion de pouvoir se revoir à l'extérieur et…
David Jackson-Perry: Alors justement, est-ce que les personnes se revoient beaucoup ou bien est-ce que c'est un rendez-vous, une rencontre ça suffit ou comment ça se passe en général?
Isabel Cobos: Alors ça fait que les personnes ont l'occasion de se voir sur une durée de trois mois après à l'extérieur, selon les agendas des uns et des autres.
David Jackson-Perry: Avec notre encadrement bien sûr, elles peuvent se voir autrement plus…
Isabel Cobos: Exactement. L'idée, c'est de se voir dans un lieu public. On ne demande juste pas que ça soit chez les uns et chez les autres. Et puis c'est très variable. Il y a des personnes pour qui une seule rencontre, ça suffit. Il ne faut pas oublier que c'est souvent la première fois qu'ils ont rencontré une personne qui vit avec le VIH, que justement dans cette heure-là, ils n'ont pas parlé de la pluie et du beau temps, ils ont parlé de choses extrêmement intenses et puis que parfois il y a besoin de temps pour digérer un petit peu tout ce qui a été dit. Dans d'autres situations, les personnes ont souhaité se revoir quelques fois.
David Jackson-Perry: Alors ce projet d'Entraide plus me rappel un petit peu… enfin, il y a une sorte d'analogie avec le rôle de l'infirmière spécialisée, où vous étiez mis en place, votre rôle a été mis en place pour un accompagnement vers la mort quand les personnes étaient très, très malades au début des années nonantes. En fait, c'est une sorte d’écho de ce qui se faisait beaucoup le système des buddies dans les années huitante déjà, où les gens de la communauté allaient apporter à manger ou même des soins à des personnes qui étaient mourantes. Et donc j'ai l'impression que quand on va dans ce sens où il y a l'accompagnement vers la mort n'est plus nécessaire. Mais cet accompagnement, ce cheminement ensemble dans la vie reste essentiel. Ce n'est pas parce que quelqu'un va bien au niveau de cette biomarqueurs, que tout va bien.
Isabel Cobos: Oui. Et c'est important. C'est vraiment important de le rappeler parce que je pense que c'est ça qui a glissé avec les années avec ce diagnostic, c'est que tout va tellement bien que tout le monde s'est désintéressé du VIH, que ce soit d'un point de vue médiatique, mais on n'a qu'à le voir, on n’en parle plus. Puis quand on en parle, c'est pour se rappeler du passé. [David Jackson-Perry: Oui.] Alors bien sûr que le passé il est important parce qu'il ne faut pas oublier d’où on part, mais je pense qu'il faut pouvoir s'en éloigner pour avancer.
David Jackson-Perry: Isabel, merci beaucoup, c'est un plaisir de travailler avec toi, c'est un plaisir de parler avec toi ce matin. Bonne suite.
Isabel Cobos: Plaisir partagé. Merci, David.
David Jackson-Perry: Tchao.
Merci d'avoir écouté Invisibles, le podcast qui met la lumière sur le VIH dans tous ses états. Je suis David Jackson-Perry et je vous dis à très bientôt pour le nouvel épisode. Salut!
