
Épisode 5:
Soutenir les communautés : approches transformatrices des soins du VIH au Lesotho.
Entretien avec le
Dans ce podcast qui nous invite à réfléchir, nous accueillons notre invitéle Dr Alain Amstutz.
Alain est médecin, chercheur et clinicien à l'université de Bâle. Il partage son parcours et ses projets en lien avec le VIH. Découvrez les challenges et les progrès dans la recherche sur le VIH, notamment les essais cliniques pragmatiques et les interventions en matière de santé publique au Lesotho. Découvrez l’importance de fournir des solutions de soins culturellement adaptées et l’impact du VIH sur les communautés.
Transcription audio
David Jackson-Perry: Bonjour, je m'appelle David Jackson-Perry, je suis coordonnateur des projets VIH au CHUV à Lausanne et vous écoutez le podcast Invisible qui met la lumière sur VIH dans tous ses états, autant social que médical. Bonne écoute.
Alain Amstutz, médecin, chercheur, clinicien à Bâle dans le domaine du VIH, salut!
Alain Amstutz: Bonjour.
David Jackson-Perry: Alain, déjà un grand merci d'avoir bravé le Röstigraben pour venir ce matin depuis Bâle. Je t'ai présenté de façon très succincte. Est-ce que t'aimerais peut être remplir un peu les trous d'air sur qui tu es, dans le domaine du VIH bien sûr ? Peut-être quelques mots sur tes projets de recherche. Mais on va revenir là-dessus plus tard aussi.
Alain Amstutz: D'accord. Merci beaucoup, c'est toujours un plaisir de croiser le Röstigraben, d'être dans la Romandie, parler français. Merci, David. Donc je suis médecin chercheur de Bâle. L'hôpital universitaire de Bâle, c'est une division qui s'appelle Division d’épidémiologie clinique. C'est ma division je travaille et là on fait beaucoup de recherche sur… En fait, il y a deux côtés, soit la recherche plutôt méthodologique, donc comment on peut améliorer les essais cliniques, et après beaucoup des projets de recherche appliquée, donc des essais cliniques académiques à Bâle mais aussi international.
David Jackson-Perry: Et donc pas toujours dans le domaine du VIH.
Alain Amstutz: Pas toujours, mais mon background c'est dans le VIH. Donc même, moi je fais un doctorat dans la recherche clinique VIH, c'était à Lesotho, donc en Afrique du Sud, et c'est vraiment ma domaine de recherche clinique, des essais cliniques, c'est dans le domaine de VIH et c'est pas forcément des essais cliniques régulatoires avec des traitements nouveaux, c'est plutôt des essais cliniques pragmatiques avec des interventions de santé publique, des interventions pragmatiques, comment on peut, par exemple avec des tests VIH, des nouveaux tests VIH, self tests VIH oral, comment on peut mettre en œuvre ces nouveaux tests VIH à Lesotho dans des communautés ruraux de Lesotho dans une manière la plus efficace. Et on fait ça pas juste comme ça, mais on fait un essai clinique contrôlé randomisé. Où soit la question comme on peut décentraliser le traitement du VIH dans un système de santé comme à Lesotho, donc loin des hôpitaux et plutôt plus proche des communautés. Et on fait ces interventions aussi dans un essai contrôlé randomisé. Donc c'est vraiment mon background et mon doctorat.
David Jackson-Perry: Voilà, d'accord. On va revenir sur ces questions de Lesotho qui m'intéresse beaucoup. Mais avant de parler plus loin de cela, nous, on se connaît un tout petit peu. On s'est rencontré il me semble lors d'une réunion à la cohort Toi, tu y étais en tant que membre du groupe des jeunes chercheurs et jeunes chercheuse, moi en tant que membre du comité scientifique. J'étais assez frappé très vite par ton engagement, ta motivation. Et puis c'est quelque chose qui me questionne souvent, moi, le VIH, je suis un peu disant tombé dedans par défaut, on va dire ça comme ça. Et donc ça m'intéresse toujours de connaître les motivations des gens qui sont peut-être, je ne connais pas ta vie, mais qui sont peut-être pas touchés personnellement par le VIH, mais qui en font une grande partie de leur vie. Est-ce que tu peux nous parler un petit peu de tes motivations dans ce domaine?
Alain Amstutz: Oui, je pense, ma motivation, c'est lié à une combinaison de mes intérêts. Donc déjà pendant de mes études, je me suis fasciné des cultures étrangères et les maladies infectieuses et tropicales. Donc pendant mes études, j'ai travaillé beaucoup. J'ai fait mes études en Suisse, en France, j'ai travaillé dans des projets au Sénégal, aux Philippines, mais c'était en Afrique du Sud, dans un hôpital où j’ai fait mes premiers contacts avec le VIH.
David Jackson-Perry: Donc avant même d'avoir commencé un vrai parcours universitaire autour du VIH. C'est juste.
Alain Amstutz: C’est ça. C'était toujours pendant mes études de médecine et pendant mes stages obligatoires, mais c'était souvent à l'étranger et donc c'était à Cape Town où je travaillais à l'hôpital. Et là on a traité beaucoup, beaucoup de gens qui vivent avec le VIH en Afrique du Sud, et ça m'intéressait beaucoup. Donc en rentrant en Suisse, j'ai travaillé dans la médecine interne et à l'Institut tropical à Bâle. Et c'est là que j'ai rencontré Niklas Labarthe qui avait déjà des projets de VIH à Lesotho, qui m’a proposé un doctorat dans ce projet, et parce que lui, il a cherché une personne qui a la connaissance, la compétence avec les essais cliniques. Et pendant mes études de médecine, j'ai aussi fait beaucoup de recherches méthodologiques sur les essais cliniques, comment on peut les améliorer, quelles sont les étapes les plus importantes, comment faire du bonne recherche. Donc il a vu ça et il m'a proposé d'aller à Lesotho pour lui aider avec ses essais cliniques de VIH et, comme j'ai dit, des essais cliniques assez pragmatiques en santé publique. Et après j'ai reçu une bourse du Fonds national MD-PhD pour continuer cette recherche. Et je pense aussi après, je suis un peu tombé amoureux à Lesotho du pays et d’une personne, c'est ça? Exactement. Donc ça m'a tenu à Lesotho et surtout dans tous les projets. C'était dans le domaine VIH, ça m'intéressait beaucoup et aussi parce qu'à Lesotho, c'est juste le VIH, c'est quelque chose du, du….
David Jackson-Perry: …du quotidien.
Alain Amstutz: … du quotidien, c'est ça, de trucs en général du quotidien. On parle de ça souvent, donc on ne peut pas vivre à Lesotho sans toucher le VIH.
David Jackson-Perry: Très intéressant, on va en parler plus. Je vois qu’en fait chaque question t'amène à Lesotho, donc on va y aller franco, on va parler de Lesotho. Allons y donc, je vais te sortir quelques stéréotypes parce que moi je t'imagine jeune médecin, tu as fait tes études dans ce pays, la Suisse, donc un des pays les plus riches au monde, un pays qui se dit avoir une couverture universelle en termes de santé, d'accès à la santé, accès au dépistage aussi autour du VIH, voilà prévalence et incidence très basse. Évidemment, ce n'est jamais assez bas, mais quand même très basse. Et encore une fois, je sors des stéréotypes et tu vas me corriger. Tu quittes ce pays pour aller dans un pays dans la partie sud de l'Afrique, un pays qui est de loin pas parmi les pays riches du monde, mais au contraire avec une incidence, une valence du VIH très élevé comparé à chez nous mais aussi au niveau mondial si je me trompe pas. Et aussi, on peut imaginer un accès à la santé pas forcément très équitable et loin d'être une couverture universelle. J'ai beaucoup schématisé, je suis conscient, mais est-ce que c'est un peu ça? Est-ce que c'était aussi peut être ça ton idée en allant là-bas? Est-ce que c'était la réalité? Quelles sont les vraies similarités et différences entre le VIH ici, le VIH à Lesotho, en dehors de mes stéréotypes un peu grossier que je viens de sortir.
Alain Amstutz: Hum, hum. Une grande question.
David Jackson-Perry: Et ce n’est que la première partie de la question, j'ai une deuxième partie aussi. La première partie, c'est ça, les similarités, les différences dans le VIH, que ce soit, pardon, que ce soit au niveau épistémologique ou que ce soit au niveau vécu.
Alain Amstutz: Oui. je pense que c'est une question très intéressante et je pense que c'est bien de d'abord mettre un peu la scène sur la situation. Donc situation VIH à Lesotho, c'est vrai que l'incidence prévalence est assez élevée. Donc aujourd'hui 22 % de la population vit avec le virus, donc c'est chaque cinquième personne, mais c'est dans les villages ruraux, c'est la mère, c'est le grand-père.
David Jackson-Perry: Dans n'importe quelle famille, tu connais quelqu'un.
Alain Amstutz: Exactement. Donc c'est ça, c'est vraiment une épidémie dans la population générale. C'est important à dire. Et après c'est vrai que le VIH à Lesotho a eu un effet sur toute une génération assez profond. Donc en fait, c'est le VIH qui est la raison la plus importante pourquoi l'espérance de vie à Lesotho dans les années nonante c'était à 65 comme ça et il tombait jusqu'à 50 ans. Donc de 65 ans jusqu'à 50 ans, entre les années nonante et 2000‒2005, juste à cause de VIH. C'est vraiment comme une seule maladie peut avoir un effet tellement profonde sur toute une génération. Et c'est vrai toujours aujourd'hui, si on va dans les villages à Lesotho, pas mal des familles où il y a les grands-mères qui sont toujours vivantes et les plus petits, mais une génération au milieu qui manque un peu, qui manque aussi….
David Jackson-Perry: Oui, je vois quelque chose de très similaire en Afrique du Sud, très similaire avec la grand-maman qui est restée dans la vieille ville alors que les tout petits et tous les autres sont morts.
Alain Amstutz: Exactement, exactement. Et bien sûr, ça a un grand effet au niveau économique à toute, c'est sûr, la société. Donc je pense que ça, c'est important à comprendre. Après, il faut aussi dire qu'il y a eu beaucoup de progrès. Donc après les années 2005, comme les derniers dix, quinze ans, il y a eu beaucoup de progrès et surtout à cause ou grâce au rollout des traitements antirétroviral. Donc c'est vraiment un grand programme et c'est gratuit pour les personnes ayant accés. C'est des données, non pas des données, de l'argent assez important dedans du Lesotho, mais aussi de l'étranger, de PEPFAR et des autres avec Global Fund et les autres. Donc vraiment le rollout, ça aidait beaucoup. Donc par exemple, si on voit les chiffres du couverture des traitements, donc dans les années 2000-2010, on dit que 35 % des personnes avaient accès aux traitements, aujourd'hui c'est à 70-75 %.
David Jackson-Perry: 75 % des personnes qui vivent avec le VIH ont un accès aux antirétroviraux.
Alain Amstutz: Alors ça, il y a les fameux chiffres UN Aid 90-90-90, et les chiffres, ils sont un peu, il y a des chiffres différents. Mais si aujourd'hui, donc il y a des chiffres de l'année dernière et les chiffres de l'année dernière sur les trois indicateurs les plus importants, ils sont très, très bons.
David Jackson-Perry: Donc c'est trois indicateurs, donc qui sont dépistage, traitements, indétectabilitè.
Alain Amstutz: Exactement. Et donc si on voit les chiffres, les derniers c'est 90 %, 80 %, 95 %.
David Jackson-Perry: Donc assez élevé, effectivement.
Alain Amstutz: Assez élevé. Bien sûr, on peut critiquer ces chiffres, les données, oui, mais c'est vrai qu'il y avait beaucoup de progrès, ça se voit aussi avec l'espérance de vie, exactement. Donc ça, ça s'est élevé, ça remonte. Les gens, la plupart des gens vit très bien, mais maintenant ils ont des autres problèmes, d'autres problèmes cardio-vasculaires qui sont plus importants ici que quand on n’est plus ici, qui sont plus nouveaux à Lesotho.
David Jackson-Perry: Mais d'accord. Donc en fait, oui, effectivement, des choses similaires à ce que nous, on commence à voir avec notre population vieillissante de personnes vivant avec le VIH, c'est ça? Et donc les défis de comment traiter cette partie-là, c'est une chose de faire un rollout comme tu dis, de faire en sorte que des médicaments arrivent dans un certain village depuis un endroit, un autre. Mais s'il y a pas une clinique ou un médecin dans ce village comme on fait pour les autres comorbidités par exemple, c'est ça?
Alain Amstutz: C'est vraiment une grande question. Comment on peut aussi avec le budget de santé publique parce qu'il y a beaucoup d'argent dans les VIH mais c'est un programme assez vertical, c'est à dire que là c'est tout gratuit, il y a toute une direction programme VIH et pour les gens c'est assez…, c'est pas facile, mais c'est assez facile d'accéder ce traitement. Mais si tu as un autre problème…
David Jackson-Perry: Comment on fait après?
Alain Amstutz: Oui, exactement.
David Jackson-Perry: Donc il y a une autre chose qui m'intéresse beaucoup dans cette question. Tu sais que je travaille beaucoup avec des programmes de pair ici à Lausanne. Et c'est vrai que quelque chose qui est très commun ici, qui est un vrai souci pour des personnes qui vivent avec le VIH, c'est le sentiment qu'on doit garder secret, qu'on ne peut pas en parler. Et bon nombre de personnes d'ailleurs n'en parle à personne d'autre. J'imagine qu'il doit avoir une sorte de masse critique à partir du moment où une certaine proportion de la population est touchée. On n’est plus exactement dans cette même dynamique de secret ou bien.
Alain Amstutz: Oui, question très intéressante. Je pense que, je vois aussi vraiment, si on voit les chiffres, la connaissance du virus, la connaissance des effets du virus est assez haute. Donc même les personnes qui vivent dans les villages un peu plus loin et ils savent que c'est VIH si on connaît des personnes. Donc tuberculose, VIH c'est assez connu et aussi dans les médias, dans les écoles, c'est vraiment une diffusion sur le VIH beaucoup plus élevée qu'ici en Suisse. Donc je pense la connaissance est plus haute mais ça évite pas le stigma. Donc le stigma c'est là, mais c'est différent et peut être c'est plutôt un stigma au niveau maladie sexuelle transmissible en général. Tu vois, c'est un stigma, mais c'est différent aussi. Ici le stigma est plutôt, j'imagine, c'est plutôt dirigé vers des groupes spécifiques, peut-être en lier ça avec des groupes MSM, avec des groupes spécifiques. A Lesotho, ça on n’a pas trop, mais assez plutôt OK, je connais ma mère, ma sœur, mon cousin, mais ça n’évite pas avoir le stigma. Oui, on n'y parle pas ouvertement sur la rue avec tout le monde, ça non.
David Jackson-Perry: Je te pose une autre question, peut être aussi un peu difficile, mais tu as parlé de ton amour de ce pays, de Lesotho, d'être tombé amoureux aussi là-bas. Quel impact pour toi, un peu au niveau plus personnel, mais quand même toujours concernant ton positionnement en tant que clinicien et ou chercheur. Hum. Qu'est-ce que ça fait pour toi dans ton développement professionnel? Mais par rapport à ton positionnement justement, d'aller à Lesotho, d'être confronté à une autre façon de faire, peut-être avoir une remise en question de beaucoup de choses que tu pensais être évidente, je ne sais pas. Qu'est-ce que ça a fait pour toi dans cette intersection personnelle professionnelle, d'aller à Lesotho ?
Alain Amstutz: Hum hum, hum hum. Oui, je pense… donc dans les projets à Lesotho m'ont vraiment appris à être assez… d'être culturellement très adapté au contexte local. Donc je suis assez, comment on dit ça en français, humble [David Jackson-Perry: humble.] de vraiment d'avoir une intervention ou une idée, juste une idée de… et on pense ah, oui, ça va marcher ou ça ne va pas marcher, et de ne pas se mettre au contexte local, au contexte culturel, et parfois je pense ici en Suisse et moi je suis suisse, je prends ça, oui, je connais comment la Suisse fonctionne et je peux poser une intervention et mais ce n'est pas ça, aussi ici il faut vraiment être sûr que c'est adapté au contexte, à la population et à Lesotho ça m'a… j'ai appris beaucoup, j’ai dû vraiment mettre ça dans le contexte local. Donc, je pense que je tiens avec moi et dans ma recherche aussi aujourd'hui. Donc, si tu parles des projets de pairs, on a eu des projets avec des jeunes à Lesotho et on a vraiment essayé de créer un modèle de services pour les jeunes au centre de santé, à inclure les jeunes dans les centres de santé et de apprendre d’eux comment il faut améliorer le service.
End part 1:
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