
Épisode 6:
Mettre un terme à l’invisibilité : mise en lumière des soins du VIH pour les jeunes au Lesotho. Entretien avec le
Dans cet épisode fascinant, rejoignez le Dr David Jackson-Perry, coordinateur des projets VIH dans le service de consultation ambulatoire du CHUV au sein de l'unité des maladies infectieuses, qui réalise un entretien avec le Dr Alain Amstutz, spécialiste du VIH et clinicien à l'université de Bâle. Ils mettent en lumière un projet transformateur au Lesotho qui vise à améliorer les soins apportés aux jeunes personnes vivant avec le VIH. Ce projet fait intervenir des pairs éducateurs/éducatrices, des ONG (organisation non gouvernementale) et des développeurs/développeuses informatiques qui collaborent pour créer un modèle de soins basé sur les préférences. Découvrez comment cette approche innovante permet à ces personnes vivant avec le VIH de mener, organiser et personnaliser leurs soins, ce qui amène à des résultats prometteurs dans la prise en charge du VIH.
Transcription audio
Intro podcast
David Jackson-Perry: Bonjour, je m'appelle David Jackson-Perry, je suis coordonnateur des projets VIH au CHUV à Lausanne et vous écoutez le podcast Invisible qui met la lumière sur VIH dans tous ses états, autant social que médical. Bonne écoute.
Alain Amstutz, médecin, chercheur, clinicien à Bâle dans le domaine du VIH, salut!
Alain Amstutz: Bonjour.
David Jackson-Perry: Parle-moi un petit peu plus des jeunes qui vivent avec le VIH? Raconte un peu de ce projet en fait.
Alain Amstutz: On a un peu le problème avec les jeunes dans les centres de santé dans Lesotho. Le traitement de VIH, c'est beaucoup aux centres de santé qui sont dirigés par des infirmières, donc ce n’est pas forcément des médecins, c'est des infirmières, mais surtout c'est des infirmières, des gens un peu plus âgés qui… Les services sont pas très bien adaptés aux jeunes.
David Jackson-Perry: Donc parfois, tu disais que parfois en fait donc ces infirmières d'un certain âge avec un certain statut peut-être dans le village, elles ont donc des idées reçues par rapport à comment mettre en place la clinique, la pratique clinique.
Alain Amstutz: La pratique clinique et aussi comment il faut vivre et, oui, comment il faut vivre comme jeunes, qu'est-ce qu'il faut faire…
David Jackson-Perry: Écoute, un peu moralisateur comme ça.
Alain Amstutz: C'est ça, c'est ça, il faut prendre le médicament, blabla. Il faut être aussi au niveau sexuel bien sûr avant d'être marié et tout ça, donc c'est un peu enfin un peu difficile les discussions qui sont très importantes pour les jeunes, mais c'est difficile à faire, oui, à voir au centre santé donc, on s'est dit pourquoi pas? Donc on a mis des jeunes qui vivent avec le VIH, mais aussi des autres acteurs civils, avec des acteurs des ONG, SolidarMed, une ONG à Lesotho, et des développeurs informatiques. On s'est mis dans une salle et on s'est dit OK, qu'est-ce qu'on peut améliorer dans ce système? Et le résultat, c'était qu'on veut essayer d'avoir dans chaque centre de santé un jeune qui vit avec le VIH, qui dirige, qui organise, qui accueillir ses pairs. Et on appelle ça le peer educator, donc le peer educator qui accueille les autres peer et les aide à diriger tous les services parce qu'il y a beaucoup de services santé, mais parfois il est difficile à discuter les services, à…
David Jackson-Perry: …savoir comment s'orienter en fait.
Alain Amstutz: Exactement, c'est vraiment… ce navigation au centre de santé. Il y a aussi pas mal des, par exemple, des messages automatiques sur SMS automatiques pour…
David Jackson-Perry: ..rappel de rendez-vous.
Alain Amstutz: Exactement. Et on a créé un modèle, on appelle ça model of care, preference-based model of care où les jeunes, ils peuvent vraiment choisir qu'est-ce qu'ils veulent. Et la personne qui a noté tout ça et qui a fait toute la discussion, ce n’était pas l'infirmière, mais c'était le jeune, l'autre jeune peer educator. Il a reçu ou elle a reçu une tablette, un smartphone avec cette application qu'on a développé. Donc même le peer educator, il a noté toutes les préférences sur OK quel rappel tu veux, quelle fréquence, quel message.
David Jackson-Perry: Hautement personnalisé en fait.
Alain Amstutz: Exactement. Aussi, comment tu veux obtenir le traitement, plutôt au village de la communauté, chez moi ou chez les infirmières, tout ça. Et aussi après tous les services à côté, le club, le dimanche. Parfois, il y a des clubs de jeunes dans la communauté, soit au centre de santé. Tous ont noté tout ça dans leur application et puis ils ont discuté ça avec l'équipe clinique. Donc ce n’est pas les jeunes ou les peer educators qui ont prescrit les médicaments, ça non, mais qui ont vraiment organisé tout ça. Et le jeune, il a juste vu vite faire l'infirmière pour les choses plus cliniques et c'est tout. Donc un système d'accueillir les jeunes dans une manière plus adaptée aux jeunes
David Jackson-Perry: Et donc en fait les peer sont peer à deux niveaux, si je comprends bien, ils et elles sont peers avec le VIH bien entendu, mais aussi avec la question de l'âge. C'est ça?
Alain Amstutz: Exactement.
David Jackson-Perry: C’est un peu doublement peer en quelque sorte. [Alain Amstutz: Exact.] Et les ordonnances sont faites par les infirmières. [Alain Amstutz: Oui.] D'accord. Donc ce sont des infirmières qui peuvent faire des ordonnances.
Alain Amstutz: Oui. [David Jackson-Perry: D'accord.] À Lesotho, c'est assez décentralisé. Donc, les médecins, il y a les médecins à l'hôpital, mais au centre de santé, il n’y a vraiment que les infirmières. Et ça marche, ça marche très bien.
David Jackson-Perry: Ah oui. Et puis comment vous avez fait pour évaluer cette intervention?
Alain Amstutz: Oui, donc on a… finalement on a aussi fait un cluster-randomized trial, donc on a eu 20 centres de santé avec… donc la moitié a reçu ce modèle avec le peer educator et cette application pour ménager les jeunes et les autres dix centres de santé où là il n'y a que un jeune qui a ramassé les données, mais qui n’a pas géré ce modèle. Et donc on a fait trial et finalement on a regardé à la fin, après un an, la charge virale des jeunes et s'il y avait une différence entre les clusters.
David Jackson-Perry: Autrement dit, c'est un marqueur en fait pour l'adhésion.
Alain Amstutz: Exactement, pour l'adhésion et aussi pour… C'est une combinaison de rester, parce qu'un problème c'est la charge virale, l'attirance. Mais l'autre problème, c'est aussi que pas mal des gens qui quittent le centre de santé qui ne reviens pas, qui n’aiment pas, qui vont ailleurs, donc il y en a qui…
David Jackson-Perry: …vont ailleurs ou pas en fait. Oui, mais on ne sait pas ça, ça on ne peut pas savoir.
Alain Amstutz: Parfois on le sait, parfois pas. Donc il y a, à Lesotho spécifiquement, il y a aussi le problème que… ou les problèmes, mais c'est
juste dû à la géographie, que beaucoup des jeunes qui vont en Afrique du Sud chercher du travail, d’autres partent, donc transfer out, c'est un grand… c'est assez élevé. Donc on a mesuré les deux dans cette étude, elle était publiée il y a deux ou trois semaines dans le journal PLOS Medicine. Et intéressant, on a vu que dans tous les clusters, donc aussi dans les clusters de contrôle où on a posé juste un jeune pour juste mesurer tous ces ramassages de données… [David Jackson-Perry: …qui vit avec le VIH] …qui vit avec le VIH. On s'est dit OK, on va mettre des jeunes partout, mais dans des clusters d'intervention, ils ont beaucoup plus de responsabilités que les autres.
David Jackson-Perry: Plus l'application.
Alain Amstutz: Plus l’application, exactement. On a ramassé les données dans tous les clusters. Finalement, on a vu qu'il y avait une élévation de… ou une réduction de la charge virale de tous les clusters par plus ou moins 10 %, plus dans les clasters d'intervention que dans les clasters de contrôle. Mais ce n’était pas statistiquement significatif finalement. Mais il y a plein des petits outcomes qui sont interessants. Des données intéressants aussi… de voir comment ce modèle a créé une atmosphère dans l'équipe clinique aux centres de santé qui ont dit après un an, après que le trial était fini, qui ont dit mais c'était vraiment cool d'avoir un jeune qui est dans notre équipe, qu'on peut donner certaines responsabilités. Et ça c'était le feedback. C'était très, très bien dans des clusters d'interventions. Je pensais aussi : Message intéressant pour ces équipes de voir où, OK, on peut inclure un jeune dans notre service.
David Jackson-Perry: …un jeune, mais vivant avec le VIH donc, c’est quand même ça. [Alain Amstutz: C’est ça.] Oui. Et donc, si je comprends bien, dans ce… dans le contrôle et le contrôle et l'intervention, il y a un jeune vivant avec le VIH, dans le contrôle, il y a moins de soutien technique. C'est un peu ça la grande différence, ils n'ont pas l'application. C'est ça?
Alain Amstutz: C'est ça.
David Jackson-Perry: Et la différence entre les deux, le résultat n'est pas significatif. C'est très intéressant, c'est tout à fait contre-intuitif. On aurait pu quand même imaginer que l'application soit vraiment une grande plus-value, mais on dirait…, bon, évidemment, c'est une hypothèse, mais on dirait que c'est la présence de ce jeune qui est le facteur essentiel.
Alain Amstutz: Oui, après, c'est vrai, maintenant il y a des hypothèses différents. Je pense que c'est une hypothèse, c'est ça, ah… des jeunes. Après, c'est vrai, qu’avec une intervention comme ça, qui est une intervention qui touche beaucoup des différents facteurs, c'est parfois difficile à juste mesurer la charge virale après un an et de dire OK, ça marche ou pas. Donc parfois ces études assez clinique, assez pragmatique, il faut chercher un primary endpoint, une primaire mesure, mais l'effet est un peu plus compliqué que ça donc.
David Jackson-Perry: Comme si souvent dans le VIH, on a l'impression qu'on a besoin de données qualitatives.
Alain Amstutz: C'est ça.
David Jackson-Perry: C'est un peu ça, hein ?
Alain Amstutz: C'est ça… et aussi les données des préférences. Donc ça, c'est intéressant de voir maintenant, OK, quel service est-ce qu'ils ont choisi? Est-ce qu'il y a des services qui ne sont pas du tout choisis ou ils sont choisis au début, mais après un demi-an, six mois, il se dit non, je n'aime pas du tout. Donc tous ces données qu’on essaie d'évoluer maintenant dans des publications secondaires sont assez important et assez intéressant que la publication sur le primary endpoint.
David Jackson-Perry: C'est très intéressant parce que je parlais avec Matthias Cavassini tout à l'heure, qui me parlait de quelque chose de similaire à Kinshasa dans lequel il avait été impliqué, ce travail de pair. Et ce matin, dans notre colloque de service, on a présenté aux collègues le bilan de notre première année d'un projet qui s'appelle Entraide Plus, qui est donc un projet de mentoring entre les pairs. Et puis les résultats de ce projet sont juste, voilà, ils sont vraiment extrêmement positif, autant pour les personnes qui font le mentoring que pour les personnes qui sont mentorées. Le fait de rencontrer une autre personne vivant avec VIH, rien que ça c'est un énorme progrés au monde, pour beaucoup de monde. Mais j'ai l'impression qu'on est assez loin. J'entends, c'est vraiment relativement récent qu'on met ça en place ici. Alors peut être qu'à l'époque les associations, le milieu associatif peut mettre ça en place, mais c'est de moins en moins le cas, en tout cas dans le Canton de Vaud et dans d'autres cantons aussi d'ailleurs. Est-ce que tu penses que… enfin, moi je suis convaincu de la plus-value de ce genre de projet. Pour moi, c'est une évidence. Mais est-ce que tu peux imaginer une sorte de transférabilité depuis ce genre de projet Lesotho? C'est vrai que non avait l'habitude de se dire et de se croire avoir beaucoup compris au niveau de la santé parce qu'on n’est pas là, on est nous, on est là Suisse et on a du mal à faire ce déplacement culturel que toi tu as appris à faire en étant là-bas, de cette décentralisation culturelle que tu es obligé de faire pour être approprie en fait. Est-ce que… je pense si je demande en fait, qu'est-ce qu'on peut apprendre de ce travail au Lesotho par exemple, ou d'autres pays dans la partie subsaharienne de l'Afrique?
Est-ce que ces trucs sont transférables ou est-ce que c'est trop différent ou…?
Alain Amstutz: Non, je ne pense pas, je pense qu’il y a des choses qui sont assez similaires comme j'ai déjà dit avec… au niveau de traitement, c'est assez similaire, c'est deuxième, primaire ligne, deuxième ligne comme ça. Et ça marche aussi bien au Lesotho qu'en Suisse. Et il faut aussi dire c'est important, c'est pas… c'est vraiment ça, ça marchait si bien.
David Jackson-Perry: Un molécule et transferable.
Alain Amstutz: Exactement, le molécule est transférable, aprés tous les choses au niveau de société sont différents. Et ça, ça a un effet encore plus grand que juste les molécules. Mais je pense, si tu me demandes de ces projets ou de la santé publique ou le programme VIH à Lesotho, pour moi c'est toujours intéressant de voir comment à Lesotho, comment tous les systèmes sont tellement décentralisés et assez loin de l'hôpital, et ça marche très bien. Et en fait, ça c'était vraiment un des raisons importants pourquoi le progrès à Lesotho c'est les molécules, oui, c'est vrai, mais aussi le fait que Lesotho a décidé de décentraliser jusqu'au village plus ou moins. Donc les centres de santé c'est vraiment des petits centres de santé et pour les personnes c'est assez facile à accéder les centres de santé, ce n’est pas facile à accéder les hôpitaux. Donc si on arrive avec les molécules qui marchent très bien et on arrête à l'hôpital, ça, ça ne marche pas. Mais à Lesotho, ça marchait parce qu'ils ont continué avec la décentralisation et ça veut dire décentralisation géographique, vers le village, mais aussi décentralisation au niveau personnel, donc moins chez les médecins spécialisés infectiologues et plutôt vers l'infirmière, même des projets avec des personnes de la communauté. Donc nous on a aussi un projet avec des personnes de la communauté qui ont distribué les médicaments. Et je pense de ce système de décentralisation au niveau géographique et aussi au niveau de compétences, oui, peut-être la Suisse pourrait aussi apprendre un peu. Donc qu'une personne vivant en Suisse avec le VIH, elle peut vraiment choisir. OK, moi, je ne vais pas chez un médecin spécialisé sur les VIH, mais je peux aller chez mon médecin ou mon infirmière préférée à côté de moi pour accéder à ce traitement qui aujourd'hui est assez standardisé et facile. Donc je pense dépenser de santé publique qui sont intéressant de Lesotho qui on pense pas trop en Suisse. Et je ne dis ça pas juste à cause des coûts, parce que c'est vrai que ce sera plus moins cher, mais aussi au niveau des préférences des patients donc. J'imagine, il y a des gens qui vive avec le VIH et qui veulent vraiment accéder à l'hôpital universitaire, mais aussi d'autres qui aimeraient plutôt aller chez l’infirmière d’à côté.
David Jackson-Perry: Oui, c'est cette proposition de gamme, en fait, ce panel de choix qui est important, oui. Et comme tu dis, le traitement même est standardisé et relativement simple. Et donc c'est vrai qu'à Lausanne par exemple, il y a bon nombre de personnes qui sont suivies effectivement en cabinet aussi, mais pas par une infirmière par exemple, et certainement pas par un ou une peer educator. Donc pour toi, ça grandit le champ de possibles, j'ai plus de choix et donc je peux avoir un choix adapté à ma vie, à mes préférences.
Alain Amstutz: C'est ça, oui, c'est ça. Exactement.
David Jackson-Perry: Oui. Alors Alain, à propos de préférences, évidemment, ma préférence serait de rester là avec toi et puis d’en discuter davantage. Mais je sais que toi, tu as un train à prendre pour Bâle et nous arrivons au bout de ce podcast. Je te remercie une dernière fois de ta présence, aussi de ton engagement, ta motivation dans le domaine du VIH en général. Je te dis bon vent et salut!
Alain Amstutz: Merci, David, avec plaisir.
